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Pierre Bourdaud, tireur d’élite dans le dernier film de Zhang Yimou Sharpshooter 

février 3, 2022

Sharpshooter, sortie en salles dans l’empire du milieu le 1er février 2022

Zhang Yimou n’avait qu’un mot à la bouche: « Authenticité! »

Le dernier film du célèbre réalisateur chinois Zhang Yimou est sortie en salles dans l’empire du milieu le 1er février 2022. Sharpshooter ou Snipers raconte l’histoire du tireur d’élite chinois de 22 ans Zhang Taofang qui pendant la guerre de Corée tua et blessa des centaines de soldats américains.

Sharpshoter de Zhang Yimou

À l’occasion de la trêve annuelle chinoise qui voit passer le pays de l’année du bœuf à celle du tigre, nous en avons profité pour interviewer Pierre Bourdaud.

Actor Media: Bonjour Pierre et merci de nous accorder une interview. Tu es à l’affiche du dernier film Sharpshooter de Zhang Yimou (张艺谋), le réalisateur chinois le plus coté. Avant de parler du film peux-tu rapidement nous parler de toi?

Pierre Bourdaud: Bonjour à tous, et merci beaucoup pour cette petite entrevue! Je m’appelle Pierre Bourdaud, je suis originaire de Nantes. J’ai 41 ans et vis en Chine (à Beijing) depuis bientôt 19 ans, où j’exerce le métier de comédien. On a pu me voir dans une quarantaine de films, environ 60 séries télé, une centaine d’émissions de télévision locales ainsi que quelques pièces de théâtre. J’ai également été cascadeur pendant plusieurs années même si je m’oriente maintenant plus vers les des rôles qui nécessitent moins d’action (vu mon grand âge!). Je suis aussi comédien de doublage et prête ma voix à des personnages de films et de dessins animés dans plusieurs langues: français, anglais, et chinois.

AM: Le film Sharpshooter ou Snipers est donc sortie en salles dans toute la Chine continentale à l’occasion du nouvel an chinois. Quel est ton rôle dans ce film?

PB: J’y joue le rôle d’Andrew, un tireur d’élite Américain, vétéran de la Deuxième Guerre mondiale. Il fut envoyé en Corée-du-Nord dans les années 50 lors de la guerre de Corée. J’obéis, avec cinq autres G.I., à notre officier supérieur John (incarné par Jonathan Kos-Read) qui est selon certains, l’un des meilleurs snipers de l’armée Américaine. Quand l’histoire commence, nous sommes à la recherche d’un ennemi. Lui aussi très connu, Liu Wenwu était tireur d’élite Chinois qui aurait à lui seul abattu plus d’une centaine de soldats Américains.

Pierre Bourdaud tireur d'élite dans Snipers

Le film retrace le duel intense qui prend place entre nos deux factions. Notre mission consiste à tendre un piège à ce soldat d’exception en utilisant l’un de ses camarades blessés que l’on a placé près d’une tranchée et dans laquelle nous attendons en embuscade. Mais comme souvent, le plan ne se déroule pas comme prévu.

À noter que le personnage principal du film est inspiré d’un soldat Chinois qui a bel et bien existé, Zhang Taofang. Il figure parmi les tireurs d’élite les plus efficaces au monde avec 214 éliminations d’ennemis confirmées. (Tout ceci alors qu’il n’avait même pas de viseur sur son vieux fusil, à peine efficace au-delà de 600 m)

AM: Comment as-tu été recruté pour ce film?

PB: Ouh là! Ça a été toute une aventure…

Tout a commencé par un message de mon agent qui m’a d’abord demandé si j’étais bien assis parce qu’elle avait quelque chose d’important à me dire. Je me suis donc assis et elle m’a dit:

Voilà, Zhang Yimou a vu certaines des vidéos que tu avais postées sur les réseaux sociaux, et il veut te rencontrer. Je crois qu’il souhaite te proposer un rôle dans son prochain film.

J’étais évidemment sous le choc au point que j’ai d’abord cru que c’était une blague. Puis le choc a laissé place à un grand état d’euphorie. À partir de ce moment-là je n’ai plus pensé qu’à une chose: comment faire de mon mieux pour être à la hauteur de l’immense honneur qui m’était fait?

Bien sûr, je n’ai pas su tout de suite de quel type de rôle il s’agissait ni même de quoi le film parlait. Ça a pris plusieurs mois avant que l’on me dise que j’allais jouer un soldat American. Il y avait un grand secret autour du film (comme toujours quand on touche aux plus grosses productions).

Et puis il y a eu les essais. D’abord par vidéos, puis en présence du directeur de casting, puis en présence de la coréalisatrice ( Zhang Mo) puis la rencontre avec Zhang Yimou lui-même… Ce fut un processus très stressant. À chaque étape, le rôle peut vous échapper d’un coup et ça a bien failli m’arriver à cause du fait que je n’étais pas originaire des USA.

Zhang Yimou - Réalisateur

Zhang Yimou – Réalisateur

Un jour, à deux semaines du début de l’entraînement militaire pour le film et alors que tout était presque signé, j’ai reçu un appel de mon agent. Elle m’a dit, en larmes, que la production voulait me remplacer, dans un souci d’authenticité. La production avait peur qu’un Français ne puisse pas passer pour un Américain aux yeux du public Chinois. Dans la série « ascenseur émotionnel », on peut difficilement faire mieux. J’étais abattu.

Heureusement, ce qui m’a sauvé, je pense, a été mon attitude… Une fois de plus, je ne me suis pas avoué vaincu, et j’ai demandé à parler avec la coréalisatrice Zhang Mo, fille de Zhang Yimou. C’est une amie de longue date. Je lui ai expliqué que pour ce rôle, j’avais déjà commencé à perdre du poids (pour être plus authentique), à m’entraîner, à regarder des tonnes de documentaires, d’interviews, et à lire sur la guerre de Corée. J’ai aussi dit que pour moi, aller dans le Dongbei pour filmer dans la neige par -30 degrés ne poserait pas de problème. Je m’étais mentalement préparé à ça et serais pour elle un soldat, pas un acteur. Le lendemain même, mon agent me confirma que mon contrat allait être signé, pour un rôle encore plus important.

Donc voilà un conseil pour tous nos amis comédiens, qui m’a servi à maintes reprises (et que je tiens de Marlon Brando après avoir appris comment il s’est battu pour obtenir le rôle de Don Corleone dans le Parrain):

ne vous avouez JAMAIS vaincu.

Un « non » de la production n’est jamais complètement valide tant que le film n’est pas fini de tourner! Battez-vous, et montrez-leur à quel point vous voulez vous investir dans le projet. Ça paye très souvent!

AM: Quand et où le film a été tourné et comment s’est passé la séquence complète?

PB: On a d’abord commencé par deux semaines d’entraînement militaire au mois de décembre 2020. Dans le nord de Pékin, des instructeurs tireurs d’élite Chinois nous ont appris (dans le froid) la marche militaire, les saluts, le maniement des armes, les différentes positions de tir, les principes de base du tir (balistique, évaluation des distances, du vent, de l’humidité de l’air… etc.), le camouflage, le déplacement furtif, le tir à armes réelles, et bien d’autres choses encore!

Entrainement tireur d'élite film Sharpshooter

En parallèle, nous avons suivi un entraînement avec l’équipe de cascade pour recréer avec authenticité les mouvements d’un corps touché par balle (vidéos à l’appui: âmes sensibles s’abstenir!), et un entraînement physique (avec régime!) pour pouvoir soutenir les heures d’actions, mais aussi pour coller au mieux à l’image de ces G.I. amaigris comme on peut voir dans les documentaires d’époque. Zhang Yimou n’avait qu’un mot à la bouche: « Authenticité! »

Suite à ces deux semaines intensives, nous avons eu deux semaines de repos. Au mois de janvier 2021 on est parti à Baishan, dans la province du Jilin (au nord-est de la Chine), à la frontière avec la Corée-du-Nord. Nous avons commencé à tourner là-bas dans le froid et la neige, par -30° parfois. Ça a été assez compliqué, comme vous pouvez l’imaginer.

AM: Comment s’est passé le tournage, dans quelles conditions? Quelle a été ta relation avec les autres acteurs et comment Zhang Yimou dirige-t-il ses acteurs?

PB: Ce qui a été le plus dur pour moi, ça n’a pas été le froid mais le fait de devoir perdre du poids. Zhang Yimou voulait que l’on perde environ 10 kg chacun et la production venait nous peser tous les matins pour être sûr qu’on ne reprenne pas les kilos perdus. Comme j’aime bien manger, ça a été compliqué.

Une fois sur place nous avons dû faire face à un autre problème que le froid. En effet, trois des acteurs du film ont été cas-contacts au COVID-19 et ont été mis en quarantaine pendant quatorze jours (avec les membres de l’équipe qu’ils avaient côtoyé). Quatorze jours durant lesquels on ne savait pas comment tourner car normalement on était tous ensemble dans les scènes. Quatorze jours durant lesquels la neige que l’on avait sur le plateau se raréfiait avec l’arrivée du printemps (même s’il en restait toujours bien assez!). Mais Zhang Mo s’est vraiment bien débrouillée. Elle a fait en sorte que chacun de nos plans soit filmé à part. Le résultat est assez surprenant et fonctionne à merveille.

Je dis « Zhang Mo », car en fait c’est surtout avec elle que nous avons tourné. L’équipe était divisée en deux. L’équipe Chinoise et l’équipe Américaine. Comme Zhang Mo a vécu aux États-Unis et que son anglais est parfait, elle a été désignée pour tourner toutes les scènes anglophones. Elle connaît aussi très bien le style de son père (pour avoir édité beaucoup de ses films ces dernières années). Elle n’a aucun problème pour savoir ce qu’il veut à l’écran. Encore une fois, le résultat est bluffant. Difficile de savoir qui a tourné quel plan sur le résultat final.

Zhang Mo et les acteurs du film Sharpshooter

Zhang Mo et ses acteurs

Je reviens sur le froid et les -30 degrés occasionnels pour vous dire que même si c’est une difficulté à surmonter, quand on pense aux gens qui ont vécu cette histoire dans les années 50 et qui en plus risquaient leur vie, ça rend humble. On a du mal à se plaindre. Encore une fois, j’y suis allé en tant que soldat et un soldat quand il a froid, il ne se plaint pas. Un acteur en revanche, c’est quand son café est froid qu’il a tendance à faire la gueule. Je ne voulais surtout pas de ça.

Pour ce qui est de la relation avec les autres acteurs, tout s’est vraiment très bien passé. On se connaissait déjà tous de longue date (les soldats Américains) et l’entraînement militaire que nous avons suivi a renforcé les liens de fraternité entre nous. C’est toujours plus sympa de tourner avec les potes! On était vraiment une « Band of Brothers », chacun avec ses défauts. Au fond, ça importait peu car on était tous dans le même bourbier à se geler les… pieds!

Les acteurs Chinois quand à eux étaient tous très peu connus et beaucoup plus jeunes que nous. C’est souvent mieux car ça évite, je parle pour certains, d’avoir affaire à des egos surdimensionnés et à des complexes de supériorité qui peuvent entacher les relations devant mais aussi derrière l’écran. Ils nous ont tous traité comme des grands frères et j’avoue qu’on a tous gardé des très bons souvenirs les uns des autres. C’étaient des bosseurs ces jeunes et je peux vous dire qu’ils ont souffert!!! Encore bien plus que nous…

Je crois d’ailleurs que c’était intentionnel de la part de Zhang Yimou d’exiger encore plus d’eux. Dans un souci d’authenticité, encore une fois, il a voulu que les Chinois suivent un entraînement plus long et plus dur que le nôtre. De plus, les conditions sur le plateau étaient plus difficiles pour eux que pour nous. Je suis convaincu que ce « deux poids, deux mesures » était dû au fait que dans l’Histoire, les Chinois avaient moins de moyens et de matériel que les Américains et que les conditions dans lesquelles ils vivaient étaient on ne peut plus dures. De plus, la volonté de créer cette différence entre nos deux équipes a sûrement créé un sentiment de jalousie et d’animosité qui à l’écran se traduit sûrement (dans l’esprit de notre réalisateur, et au risque de me répéter) par de l’authenticité. C’est un choix très judicieux à mon sens.

Pierre BOURDAUD on set - Snipers

AM: Que retiendras-tu de cette expérience?

PB: D’avoir la chance de travailler pour de grands réalisateurs qui connaissent très bien le métier. C’est vraiment formidable. En tant que comédien j’ai toujours adoré travailler avec des gens qui savent ce qu’ils veulent et qui ont des exigences très pointues (je pense notamment à Stephen Chow et à Jackie Chan). Même si la plupart des acteurs trouvent l’exercice parfois difficile et stressant, pour ma part, au fond ça me rassure. Je stresse beaucoup moins que quand je joue sans réelles directions. Pour moi, il n’y a rien de pire que de travailler pour un réalisateur qui ne sait pas ce qu’il veut.

Ce que je retiendrai de cette formidable expérience c’est d’abord que ça a été une incroyable aventure entre potes. Une aventure unique qui je pense ne se reproduira pas dans cette vie. C’est en même temps très agréable d’avoir l’occasion de travailler sur un grand film comme ça, mais c’est aussi un peu triste. On se dit que c’était peut-être la dernière fois, et que ça va être dur d’avoir mieux la prochaine fois. Sur ce projet, toutes les conditions étaient réunies pour qu’on en garde un souvenir impérissable.

AM: Tu as participé il y a quelques jours à l’avant-première du film et il est maintenant sorti en salles. Quel accueil le public chinois a réservé au film?

PB: J’ai déjà vu le film deux fois!!! C’est très rare que j’aille voir un film plusieurs fois au cinéma mais celui-ci est vraiment différent et spécial. Et pas parce que je suis dedans!!!

Avant-première du film Sharpshooter de Zhang Yimou à Pékin

J’avoue que malgré l’expérience de tournage incroyable que j’ai vécu, je n’attendais pas grand-chose de ce film. Avec les années, j’ai appris à contrôler mes attentes car j’ai beaucoup été déçu par le passé. Mais dans ce cas-ci, le fait de voir que c’est un film qui marche, avec de très bons acteurs (je parle pas de moi évidemment), une réalisation grandiose, une musique épique, des scènes d’action à couper le souffle, etc… C’est un très gros bonus! Pour moi c’est la cerise qui vient couronner le gâteau de cette formidable expérience. Je n’aurais pas pu demander mieux.

Pour ce qui est de l’accueil du public Chinois, j’avoue que je n’ai pas encore regardé les chiffres. J’ai tellement peur que le film n’ait pas le succès commercial qu’il mérite que je fais un peu l’autruche (chose que je ne faisais pas avant car le box-office m’importait peu, mais ce projet est vraiment particulier pour moi). J’espère très franchement que Sharpshooter aura du succès et obtiendra les prix qu’il mérite car c’est vraiment un très très bon film comme on aimerait en voir plus souvent.

AM: He bien merci pour tous ces détails Pierre, sur quoi travailles-tu actuellement?

PB: Comme l’épidémie de COVID reprend un peu ces derniers temps, j’ai malheureusement dû refuser des rôles en dehors de Pékin. En plus avec les jeux olympiques, il est difficile de revenir si l’on vient d’un endroit où il y a des cas. Le risque est trop grand, du coup je reste sur Beijing.

Finalement j’ai accepté de travailler sur un film de kung-fu qui se tourne au nord de Pékin et dans lequel je retrouverai normalement Vincent Matile au mois de février (quand je vous disais que c’était toujours mieux de bosser avec les potes)! Je n’ai qu’un rôle mineur qui nécessite les talents de cascadeurs, mais j’avoue qu’il risque d’être mon dernier en la matière. Je ressens vraiment les ravages du temps sur mes pauvres articulations. Enfin… on en reparlera!

Pierre BOURDAUD Acteur Français

En parallèle, je continue de faire du doublage pour quelques projets, dont un dessin animé destiné au marché francophone. On croise les doigts pour que ça se vende!

AM: Merci Pierre, on souhaite beaucoup de succès au film “Sharpshooter” et à la suite de ta carrière. As-tu quelque chose à ajouter?

PB: Et bien merci encore de l’intérêt que vous portez à mes aventures dans le pays du milieu, et plus largement de l’intérêt que vous portez à l’industrie cinématographique Chinoise. Ça a été un plaisir de me replonger dans les magnifiques souvenirs de ce film majestueux et émouvant. Ne le manquez pas!

Et puisque nous sommes entrés dans l’année du Tigre selon le calendrier lunaire, je me joins à tous les Chinois du monde pour souhaiter à tous nos lecteurs une très bonne nouvelle année, bonne santé, et prospérité! Que le tigre vous soit synonyme de bonne fortune. Prenez soin de vous!

Sharpshooter sur IMDB (Ju Ji Shou / Snipers) : https://www.imdb.com/title/tt13317320/

Sharpshooter trailer